“A l’ombre de Saingelais” : Jean de Marnef et Scévole de Sainte-Marthe (1559)

Dernière mise à jour : 1^er juin 2020

Jean III de Marnef publie à Poitiers en mai 1559,  Les Voyages avantureux du capitaine Jan Alfonce, Sainctongeois. Il existe deux autres états très différents de ce livre, l’un s.d. chez le même libraire, l’autre de 1559 distribué à la fois par les frères Marnef et les frères Bouchet. Dans les exemplaires où le seul nom de Jean III Marnef figure sur la page de titre, on peut lire à la fois l’hommage que lui-même et le poète Scévole de Sainte-Marthe rendent à Mellin de Saint-Gelais mais l’épître de Jean de Marnef ne figure pas, en revanche, dans les exemplaires portant également le nom des frères Bouchet.

Les deux pièces liminaires de Marnef et de Sainte-Marthe nous indiquent que l’initiative de la publication imprimée de l’ouvrage composé par Jean Fontenaud (dit capitaine Jan Alfonce) revient à Saint-Gelais, lui-même mort quelques mois avant cette parution, le 14 octobre 1558. Pour autant, l’épître en prose ne fait pas état de ce décès et le sonnet de Sainte-Marthe est à cet égard pour le moins ambigu : si le jeune poète souligne le paradoxe qu’il y a pour Saint-Gelais à avoir joué les éditeurs scientifiques pour l’ouvrage du capitaine alors que ses propres œuvres restent manuscrites, en souhaitant “Que Saingelais rencontre un Saingelais / Qui montre au jour [ses] vers”, on peut envisager que ce vœu vaille tant du vivant de Mellin qu’après sa mort. C’est surtout le titre de la pièce, “A l’ombre de Saint-Gelais”, titre qui a pu être donné au dernier moment, qui suggère au lecteur que le poète est mort. Ainsi malgré la date de leur parution, plus de six mois après la mort de Saint-Gelais, on ne peut exclure que ces deux pièces – et en particulier celle de l’imprimeur-libraire – aient été écrites avant ce décès ou, au moins, après que Marnef et Sainte-Marthe en aient appris la nouvelle.

Nous reproduisons ici ces textes, tels qu’ils figurent dans l’un des exemplaires de l’édition non datée.

Hommage de Scévole de Sainte-Marthe et de Jean Marnef à Mellin de Saint-Gelais

Transcriptions

1. Jean de Marnef, « Au lecteur »

Apres la mort de Jan Alfonce, capitaine tresexpert à la Mer (où il a sçeu sagement entreprendre, et hardiment executer) aucuns de ceux qui l’avoyent congneu, estimoyent ses voyages et son Livre avoir esté ensepvelis avecq’ ses cendres : mais le seigneur Melin de Saint-Gelays (duquel la docte plume volle par la France) a esté tant curieux qu’encor’ l’a voulu ravi[v]er et rendre immortel par ce Livre, qu’il a subtilement et avecq’ grand’ peine recouvert, puis de grace et liberale amytié le m’a baillé pour mettre à l’impression, que ne vouleurent oncques faire quelques particuliers, par trop ingratz envers ce gentil Capitaine, qui tant liberalement leur en avoit fait part, pensans seuls en faire leur profit, ou du tout esteindre son nom.
Remerciez donc ce seigneur de Saint-Gelays d’un tel bien par luy fait à la Republique.

2. Scévole de Saint-Marthe, « A l’ombre de Saingelais »

     Belle ame, qui maugré le corps qui te cachoit
Jadis te fis si bien en la France paroistre,
Qu’ores estant receue en ton immortel estre
Des mortels la memoire encor’ tousjours te voit :
     Entre les grans honneurs qu’en bon nombre on te doit
Celuy n’est des derniers, que ta divine dextre
A desenseveli, et de rechef fait naistre
Alphonce, que l’oubli par deux fois enserroit.
     Te rende grand mercy le Pilote, qui ores
Ayant par toy Alphonce, a dequoy mieux encores
Sçavoir donter les flots : et à fin desormais
     Qu’il ne soit veu ingrat, en ta faveur souhette
Que Saingelais aussi rencontre un Saingelais,
Qui montre au jour les vers d’un si divin Poete.

Pour citer cet article :
SICARD Claire, « “A l’ombre de Saingelais” : Jean de Marnef et Scévole de Sainte-Marthe (1559) », Démêler Mellin de Saint-Gelais, Carnet de recherche Hypothèses, 26 octobre 2011, mis à jour le 1^er juin 2020 [En ligne] http://demelermellin.hypotheses.org/91.